Le poison est servi dans les chaussures du mort. L'avocat remplace un collègue assassiné pour le procès de la décennie par Jack McEvoy, envoyé spécial du Times. Ce n'était pas les trente et une affaires tombées dans son escarcelle qui posaient problème. C'était la plus grosse, celle avec le gros client et les enjeux les plus élevés. L'avocat de la défense Michael Haller, qui a pris la relève de maître Jerry Vincent assassiné il y a quinze jours, se retrouve aujourd'hui au cœur de ce qu'on qualifie déjà de « Procès de la décennie ».
Les témoignages prévus au procès de Walter Elliot doivent commencer aujourd'hui. Cinquante-quatre ans, président d'Archway Pictures, Walter Elliot est accusé d'avoir assassiné son épouse et l'amant présumé de cette dernière, il y a six mois de cela, à Malibu. Michael Haller reprend le dossier après que Jerry Vincent, quarante-cinq ans, a été retrouvé mort dans sa voiture en plein centre de Los Angeles.
Vincent avait pris des dispositions juridiques pour permettre à Haller de reprendre son cabinet s'il venait à mourir. Alors que la veille il était allé se coucher sans le moindre dossier à traiter, Michael Haller, qui arrivait à la fin d'une année sabbatique, s'est retrouvé le lendemain matin avec trente et un nouveaux clients à gérer.
« J'étais très excité à l'idée de reprendre le travail, mais je ne m'attendais à rien de tel », nous a déclaré Haller, quarante-deux ans, fils de feu Michael Haller Senior, un des avocats de la défense les plus connus de Los Angeles dans les années cinquante et soixante. « Jerry Vincent était un de mes amis et collègues et, bien sûr, je serais très heureux de me retrouver sans aucune affaire s'il pouvait être encore vivant aujourd'hui. »
L'enquête sur le meurtre de Jerry Vincent est en cours. Il n'y a toujours aucune arrestation et d'après les inspecteurs, il n'y aurait pas non plus de suspects. Jerry Vincent a reçu deux balles dans la tête alors qu'il se trouvait dans sa voiture rangée dans le garage attenant à son cabinet, à la hauteur du 200 de Broadway.
Suite à la mort de Jerry Vincent, c'est toute la charge du défunt qui est revenue à maître Haller. Celui-ci a eu aussitôt pour tâche de coopérer avec les enquêteurs – dans les limites de la confidentialité des relations avocat client —, de dresser l'inventaire de toutes les affaires en cours et de prendre contact avec tous les clients concernés. Et la surprise a été immédiate : un des clients de Jerry Vincent devait passer en jugement le lendemain même du meurtre.
« Mon équipe et moi commencions juste à faire le tour de toutes les affaires en cours lorsque nous avons découvert que Jerry – et donc naturellement moi – devait assister au prononcé de verdict d'un de ses clients, nous a confié maître Haller. J'ai donc été obligé de tout laisser tomber pour me précipiter au Criminal Courts Building et assister le client. »
Ce n'était que la première des trente et une affaires en cours.
Tous les clients de la liste devaient être contactés rapidement, informés de la mort de maître Vincent et pouvoir ou engager un nouvel avocat ou continuer avec maître Haller.
Quelques rares clients ont décidé de se faire représenter par d'autres avocats, mais la grande majorité des affaires est aujourd'hui traitée par maître Haller. De loin la plus importante d'entre elles est celle du « Meurtre de Malibu ». Elle a beaucoup attiré l'attention du public. Il est prévu que certains moments du procès soient retransmis nationalement sur Court TV. Dominick Dunne, le grand chroniqueur judiciaire de Vanity Fair, compte au nombre des reporters qui ont demandé la possibilité de suivre le procès.
L'affaire est échue à maître Haller à une condition, et elle est de taille. Elliot n'acceptait de garder Haller que si celui-ci n'essayait pas de repousser le procès.
« Walter est innocent et insiste sur ce point depuis le premier jour », nous a encore déclaré maître Haller lors de la première interview qu'il a donnée depuis qu'il a repris l'affaire. « Suite à plusieurs ajournements, cela fait six mois qu'il attend d'être jugé et de pouvoir ainsi laver son nom. Il ne voulait pas d'un autre retard et j'en suis tombé d'accord avec lui. Pourquoi attendre quand on est innocent ? Nous avons travaillé pratiquement vingt-quatre heures sur vingt-quatre pour être prêts et je pense que nous le sommes. »
Y parvenir n'a pas été facile. L'individu qui a tué Jerry Vincent lui a aussi volé sa mallette. Elle contenait l'ordinateur portable et le carnet de rendez-vous de l'avocat.
« Il n'a pas été trop difficile de rebâtir son emploi du temps, mais la disparition du portable est une grosse perte, nous a dit maître Haller. C'était là qu'étaient stockées les informations et la stratégie de la défense. Les tirages papier que nous avons trouvés dans le bureau étaient incomplets. Nous avions besoin du portable et au début, j'ai cru que nous étions fichus. »
C'est alors que maître Haller a trouvé quelque chose dont l'assassin ne s'était pas emparé. Vincent avait sauvegardé certains fichiers de son ordinateur sur une clé USB attachée à son porte-
clés. C'est en pataugeant dans ces mégabits de données qu'Haller a trouvé des bouts de stratégie retenus pour le procès Elliot. La sélection des jurés a eu lieu la semaine dernière et maître Haller nous dit que lorsque la phase des témoignages commencera ce matin, il sera fin prêt.
« Je ne pense pas que Monsieur Elliot sera victime d'une quelconque chute de régime dans sa défense, a ajouté maître Haller. Nous sommes armés et nous avons les munitions qu'il faut. Bref, nous sommes prêts à y aller. »
M. Elliot n'a pas répondu aux appels téléphoniques que nous lui avons passés pour cet article et a refusé de parler aux médias, à l'exception d'une conférence de presse qu'il a donnée après son arrestation ; il a nié avec véhémence toute implication dans ces meurtres et a pleuré la mort de son épouse.
Les procureurs et enquêteurs des services du shérif du comté de Los Angeles soutiennent qu'Elliot a tué son épouse Mitzi, trente-neuf ans, et Johan Rilz, trente-cinq ans, lors de l'accès de rage qui l'a pris en les trouvant tous les deux dans la maison de plage que le couple Elliot possède à Malibu. Elliot a appelé les adjoints du shérif sur les lieux et a été arrêté suite à l'examen de la scène de crime. Bien que l'arme du crime n'ait jamais été retrouvée, des tests de laboratoire montreraient qu'Elliot a tiré des coups de feu peu de temps avant d'appeler. D'après les enquêteurs, Elliot aurait aussi prononcé des paroles incohérentes lors de son premier interrogatoire sur les lieux du crime et plus tard. D'autres éléments de preuves incriminant le magnat du cinéma devraient être révélés lors du procès.
Elliot est en liberté conditionnelle, sa caution de vingt millions de dollars étant la plus haute jamais exigée d'un suspect dans toute l'histoire du comté de Los Angeles.
Selon les experts et les observateurs habitués des procès, il faudrait s'attendre à ce que la défense remette en cause la manière dont ont été manipulées les pièces à conviction et conduits les tests affirmant qu'Elliot aurait tiré des coups de feu.
L'adjoint au district attorney, Jeffrey Golantz, qui agit en qualité de procureur dans cette affaire s'est refusé à tout commentaire pour cet article. C'est son onzième procès au pénal que va devoir aujourd'hui affronter un Golantz qui n'en a jamais perdu un seul.